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Services et plateformes numériques. Ubérisation, loi travail et retour vers le passé

Services et plateformes numériques
Ubérisation, loi travail et retour vers le passé

On se souvient des luttes menées par les chauffeurs de taxis contre la multinationale étatsunienne Uber, installée maintenant en France, qu’ils accusent de concurrence déloyale.

L’Urssaf a décidé d’introduire deux procédures contre Uber pour requalifier les chauffeurs actuellement « travailleurs indépendants » en salariés et réclamer plusieurs millions d’euros de cotisations sociales. Le lien de subordination des chauffeurs vis-à-vis de Uber est mis en évidence par l’Urssaf : recrutement et formation des chauffeurs, fixation du tarif des courses, commissions prises sur les courses, contrôle des encaissements… Par delà les montants réclamés c’est le modèle économique de ce type d’entreprises utilisant l’appellation de « plateformes de mise en relation » qui est remis en cause.

Ce modèle présente des avantages considérables pour ces entreprises. Plus fort que la Loi El Khomri puisqu’il n’y a plus besoin de se soucier du Code du Travail. N'étant pas salariés mais « patrons », ces travailleurs prennent en charge l'achat et l’entretien de l’outil de travail, les cotisations sociales sont à leur charge… Et surtout ils assument le risque de variation d'activité, la plateforme ne donnant aucune garantie à ce sujet. En bref, le risque d'entreprise est supporté, pour l'essentiel, par ces « travailleurs indépendants ». C'est le rêve des capitalistes : maximiser les profits tout en éliminant le plus possible les risques. Cet objectif est aujourd'hui rendu accessible du fait du chômage de masse et de la précarité qui poussent des travailleurs vers ces plateformes.

Les travailleurs résistent en menant des actions judiciaires, en s’organisant. Ainsi des livreurs de repas de la société TokTokTok demandent des indemnités financières et leur requalification comme salariés. D’autres entreprises bâties sur le même modèle ont négocié ou sont dans l’expectative. D’où les réactions du gouvernement, du Medef, de parlementaires PS qui volent au secours des Uber et assimilés. Ils appellent tous à sécuriser juridiquement les pratiques de ces plateformes, entériner ce type d’emplois et éviter leur transformation en salariés. Et bien sûr condamnent les procédures de l’Urssaf qui « menacent les nouvelles formes d’emploi ». Des amendements à la Loi El Khomri ont été déposés par deux députés PS. C’est l’avenir nous dit-on : hors du capitalisme prédateur point de salut !

Paradoxalement, après avoir éliminé dans une large mesure les « travailleurs indépendants » (28% des personnes ayant un emploi en 1962 contre 10% seulement aujourd’hui) voici que le grand patronat encourage leur retour. Pas tout à fait cependant. Il ne s’agit pas de retrouver les 4 millions d’agriculteurs exploitants de 1954 (aujourd’hui moins de 500.000) ni la masse des petits commerçants éliminés par la concurrence des hyper, super et autres GSS.

Aujourd’hui est visé le secteur des services. L’enjeu est de taille tant ce secteur a pris de l’ampleur. Dans une situation de faible croissance ou stagnation, il s’agit pour le grand patronat de maintenir ses taux de profit en accaparant le plus possible la valeur ajoutée, en dépossédant et en surexploitant les couches populaires.

L’évolution en cours touche des services aux particuliers dans des domaines où les coûts sont suffisamment connus (transports, livraisons) et les situations répétitives.

Les services aux entreprises sont aussi concernés lorsqu’il s’agit d’activités dématérialisées. Selon un rapport remis au gouvernement en 2015, 10% des travailleurs du numérique exercent des activités non salariées, un pourcentage en augmentation constante. Des sites sont créés, des places de marché, où des entreprises proposent des missions et des freelance peuvent y répondre moyennant abonnement payant ou commission versée au site. C’est un début. On peut imaginer comment - en complément de la sous-traitance classique et de la filialisation en Inde - des sociétés de services informatiques peuvent en tirer profit. Sous réserve de la sécurisation juridique exigée par le Medef : confirmation du statut «d’indépendant ».

Sur certains sites des commentaires tirent la sonnette d’alarme : la mise en concurrence est sévère et certaines prestations finissent à 50% ou 30% de leur estimation initiale. Les tâches étant dématérialisées les prestataires postulent du monde entier. La délocalisation numérique!

Des grandes multinationales ont ouvert la voie. Amazon a créé la plateforme « Amazon Mechanical Turk » où des entreprises proposent des tâches simples (traduction, recherche de documents…). Des dizaines de milliers de travailleurs, appelés turkers, sont payés à la tâche, leur revenu horaire moyen est inférieur à 2 euros. Et Amazon prend une commission de 20 à 40%.

Pour brouiller les cartes les entreprises « plateformistes » tiennent un discours « libertaire » : vous travaillez quand vous voulez, vous faites ce que vous aimez, vous travaillez de chez vous, avec des entreprises modernes etc. Le capitalisme « moderniste » invoque toujours la liberté pour mener les politiques les plus régressives. Sans jamais poser la question « à qui cela profite ? » C’est la crise mais pas pour tout le monde.

Robert Kissous, Economiste, Consultant

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le 28 August 2016

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